Voici la deuxième partie du travail de notre R.F. et B.A.F. Jean Paul A.
Symboliquement :
La bibliographie sur le thème peut paraître abondante mais c’est en réalité une illusion d’optique car très peu d’ouvrages traitent du Maître au Rite Français. C’est peut-être tant mieux, pour deux raisons : d’abord parce qu’il est contraire au bon sens de limiter ses lectures à son seul Rite et cela d’autant plus que les fondamentaux de la réflexion maçonnique se trouvent dans tous les Rites, ensuite parce qu’il faut qu’un Maître Maçon trouve en lui-même sa vision du grade, qu’il construise en toute liberté sa pensée.
Ce point de vue nous conduit à examiner le sens et les significations du grade au travers de ses éléments caractéristiques tels qu’ils apparaissent dans le rituel lors de la réception d’un nouveau Maître. Ensuite seulement nous pourrons nous risquer à faire quelques réflexions sur la portée de la Maîtrise ; mais l’objectif fixé est bien d’ouvrir des pistes et de contribuer à la recherche de chacun.
Le premier élément qui interpelle est la marche à reculons que suit immédiatement l’exigence d’un examen de conscience. Le Compagnon est invité à se tourner vers son passé car l’oubli ne génère que l’ignorance et la méconnaissance de soi-même ; accepter de se regarder tel qu’on a été doit nécessairement précéder ce qu’on veut devenir. Le fait que le terme de cette marche soit un examen “public“ de conscience évite que le retour vers le passé soit un refus de s’engager vers l’avenir, un refus de rompre avec soi-même. Le Compagnon atteste qu’il n’a rien à se reprocher, que ses intentions sont pures et il s’engage sur son honneur et sa foi de Maçon : les termes esquissent le passage entre une action concrète, “matérielle“, la taille de la pierre brute, le travail sur le chantier, comme une approche intellectuelle et morale.
A ce moment là, et parce qu’il est en harmonie avec lui-même, le Compagnon est prêt à quitter l’horizontale qu’il a parcourue dans tous les sens possible et à aborder la verticale. Mais ce passage d’une dimension à l’autre n’est pas chose facile.
D’abord parce que la verticale a plusieurs sens, on peut aussi bien la descendre que la monter, sachant que l’objectif est d’aller vers le haut, vers le ciel.
Il est en premier lieu clairement montré au récipiendaire qu’il ne doit pas espérer, dans sa condition humaine présente, parvenir réellement au monde Divin. Il est entre l’équerre qui permet de vérifier la pierre (qui même cubique demeure matière) et le compas qui trace le cercle (symbole du ciel et au-delà du Divin). Le Maître restera entre l’équerre et le compas et sa grandeur réside sans doute dans ce rôle d’intermédiaire entre la matière et l‘esprit, dans un équilibre qui demeurera précaire sauf aide du Créateur.
Dans sa quête de la verticalité le Compagnon va devoir descendre avant de monter ! C’est la légende d’Hiram qui est bien évidemment le centre et le cœur du grade.
Le drame qui est ici mis en scène appartient au fond commun de l’humanité et se retrouve dans toutes les pensées religieuses ou simplement philosophiques. Plutarque dans son “De anima“ écrivait “Mourir c’est être initié“. Pour nous en tenir à la pensée judéo-chrétienne qui fonde principalement notre culture, rappelons que Paul dans plusieurs de ses épitres (aux Romains, aux Colossiens) rappelait que le baptême est une mort symbolique, suivie d’une résurrection spirituelle ; aujourd’hui encore, lors de la “profession“ (prononciation des vœux) dans certains Ordres religieux, le novice est étendu sur le sol, recouvert d’un drap mortuaire pendant qu’est récité l’office des morts, puis il est relevé et prononce ses vœux entre les mains de l’Abbé et reçoit alors un nouveau nom., il est mort et un être neuf est né.
La mort d’Hiram n’est donc pas le récit d’une mort physique mais bien une mort “mystique“, le corps assassiné n’a qu’un rôle de figuration pour signifier que la mort à la matérialité permet seule une vie véritable, libre et riche d’une potentialité infinie. Cette mort est aussi le rappel qu’on porte en soi les liens qui nous retiennent à notre matérialité et que nous pouvons, sinon choisir, du moins ne rien faire pour nous en débarrasser ; la mort devient alors définitive, non celle du corps, inéluctable et secondaire, mais bien celle qui est privation d’une renaissance spirituelle.
C’est bien cette mort à l’esprit que représentent les trois mauvais Compagnons et leur crime.
Nous connaissons les armes du crime. La règle, symbole de la Loi et de la Mesure est transformée ici en outil de folie et de déraison ! Le refus de respecter les règles est la preuve par excellence de l’orgueil et de la démesure. Hiram le crie à chacun de ses assassins : les secrets qu’on exige de lui “ce n’est pas ainsi que je les ai reçus ; efforce-toi de les mériter“. Le levier qui frappe le deuxième coup traduit bien avec quelle facilité vient la tentation de “passer en force“ plutôt que de faire effort sur soi-même ; c’est aussi la marque de notre propension à user de la force de l’autre pour s’en servir à notre profit, à exploiter l’autre plutôt que de pallier nos insuffisances et nos manques par notre travail. Lorsque le maillet donne le coup mortel, il synthétise l’action néfaste des outils précédents car il est l’instrument par lequel est maintenu l’ordre et il est ici utilisé pour provoquer le désordre irrémédiable qu’est la mort. Désordre sciemment recherché puisque les trois Compagnons ont, avec plus ou moins de réussite tenté de frapper le Maître à la tête qui symbolise l’esprit, la raison.
Mais tout fait sens dans ce récit : Hiram a l’habitude de vérifier l’état du chantier le soir après les travaux (le maître ne cesse jamais de travailler) lorsque l’obscurité domine, cette obscurité qui a d’ailleurs envahi l’esprit des trois mauvais Compagnons malgré la lumière reçue lors de l’initiation. Les portes sont aussi source de réflexion. D’abord parce qu’Hiram entre dans le Temple par une “porte secrète“, est-ce à dire que le Maître architecte dispose de connaissances qui ne sont pas partagées ou qui révèlent d’une dimension qui n’est pas accessible à tous ? Peut-il être présent dans le Temple sans que nous en ayons conscience et nous aider ou vérifier notre activité ? D’où vient et où mène cette porte secrète ? Quoiqu’il en soit les portes qui, elles, figurent bien sur le Tableau de Loge, sont également intéressantes : le périple d’Hiram débute à la porte d’occident par laquelle est un jour entré le candidat à l’initiation, puis se poursuit vers la porte du midi qui laisse passer la plus grande clarté, celle qui permet aux Compagnons et aux Maîtres d’acquérir de plus grandes connaissances et de saisir la réalité de l’univers pour se terminer enfin à la porte d’orient, celle qui mène à la source de la Lumière. A l’instant de passer dans une autre dimension, il nous est ainsi rappelé le chemin qui est à parcourir et que les pires difficultés doivent être traversées pour que l’initiation virtuelle devienne réelle.
C’est un des sens de la marche étrange qui est imposée au récipiendaire, il fuit ses propres tares et risque à tout moment de tomber sous leur poids. Il avance, déséquilibré mais vérifié par l’équerre que dessine une de ses jambes, il est admis à poursuivre ; pourtant après un pas ultime, il sera terrassé : Ceci rappelle encore une fois que la seule bonne volonté ne peut le dispenser d’affronter l’épreuve finale de la mort.
à suivre
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