Lors d'une récente Tenue d'instruction au grade de Maître, le R.F. Jean-Paul A. nous a présenté un morceau d'architecture intitulé Êtes vous Maître ?.
Voici la première partie du travail de notre bien aimé Frère.
Êtes vous Maître ?
Éprouvez-moi, l’acacia m’est connu“.
Cet échange figure dès l’ouverture des travaux au troisième grade avant d’être repris dans l’instruction et marque clairement une évolution dans le statut de l’initié : l’Apprenti n’est pas interrogé sur son état puisqu’il est incapable de répondre (c’est le Surveillant qui s’affirme Maçon parce que reconnu par ses Frères) ; le Compagnon questionné donne pour justification de son état sa vision de l’Étoile Flamboyante, c’est-à-dire qu’il se pose en bénéficiaire d’une révélation, d’une connaissance reçue.
Le Maître, quant à lui, demande à être éprouvé : sa position résulte d’épreuves surmontées qui lui ont permis d’accéder à une dimension hors du temps puisqu’il connaît l’acacia, symbole de l’incorruptibilité, “connaître“ devant ici se lire “naître avec …“.
Grade ultime de la Maçonnerie symbolique, la maîtrise est d’une autre nature que celle des grades précédents (on dit parfois que la maîtrise est d’ailleurs le premier des Hauts Grades), ce qui explique peut-être son apparition tardive et relativement obscure.
C’est ce premier point qu’il faut essayer d’éclaircir avant d’examiner les significations de la maîtrise.
Historiquement et brièvement:
Dans le monde du travail, le terme de Maître est très ancien et n’a évidemment aucune signification par rapport à la Franc-Maçonnerie qui apparaît bien plus tard. Dans un métier, de quelque nature qu’il soit, le Maître est d’abord celui qui démontre une aptitude et un talent remarquables : on est Maître dans son art (et l’expression demeure en usage aujourd’hui). On est aussi “meilleur“ que d’autres… Ensuite ou parallèlement, selon les métiers ou les cultures, le Maître est celui qui dirige le travail, soit parce qu’il est le plus compétent, soit parce que d’une manière ou d’une autre il est titulaire d’une fonction, d’une charge ou d’une entreprise ; ici pour faire court le Maître est le patron ! Pour s’en tenir aux métiers du bâtiment qui nous concernent, le Compagnon ou homme de métier (fellow craft ou craftman) pouvait devenir Maître par succession familiale, mariage ou achat d’une “affaire“ : la position de Maître n’était qu’une qualification dans la cité, un statut civil qui ne comportait aucune connotation rituelle.
Le grade de Maître, d’un point de vue maçonnique, a été manifestement mis en place dans la première partie du XVIIIème siècle par des frères érudits. Ceux-ci ont structuré la maîtrise sur le modèle des deux premiers grades, en prenant au grade de Compagnon des éléments nécessaires à densifier le grade de Maître (le mot, les cinq points parfaits, la chambre du milieu, etc…) et surtout ils ont déterminé une légende fondatrice du grade sans laquelle la maîtrise serait restée une coquille vide : La légende d’Hiram.
En 1723, dans les constitutions d’Anderson, Hiram devient Hiram Abif où il est qualifié de “prince des architectes“ ; ce nom n ‘est pas dû à l’esprit créateur des rédacteurs du texte mais figure dans la Bible au deuxième Livre des Chroniques, alors que notre Hiram est lui mentionné dans le Livre des Rois où ce fils de Tyrien et d’une veuve de Nephtali est bronzier ; ce qui fait, vous en conviendrez “moins chic“ que prince des architectes. Peut-être est-ce pour cela que les Anciens Devoirs postérieurs à 1723 et jusqu’en 1739 préfèreront Hiram Abif à Hiram !
Encore fallait-il construire la légende du personnage. Les érudits se sont sans doute souvenus d’un très ancien récit selon lequel les trois fils de Noé (qu’on retrouve dans divers grades ou degrés de la Franc-Maçonnerie) tentent de découvrir le secret de la puissance de leur père mort en le relevant de sa tombe ! Malheureusement, même s’il reste “de la moelle dans les os“ (marrow in the bones) M&B, il faut se contenter d’un secret substitué. Le manuscrit Graham de 1726 reprenant cette trame ne mentionne pas de meurtre car Noé est mort de vieillesse mais déjà apparaît la mort, le secret à trouver, le relèvement et un mot !
Restait à transposer ce récit dans le cadre maçonnique, celui de la construction du Temple de Salomon, en remplaçant Noé par Hiram et les fils par les trois mauvais Compagnons.
On trouve dès 1727 un lien entre Hiram, la mort et le Temple, dans le manuscrit Wilkinson puisque la forme du carré long de la Loge est expliquée par sa ressemblance avec “la forme de la tombe de Maître Hiram“.
L’idée du secret à trouver et de sa “récupération / transmission“ dans les formes requises est implicite dans la légende de Noé et de ses fils ; le lien a été établi avec les cinq points parfaits qu’il a paru plus judicieux de rattacher à la maîtrise puisque c’est là où il est question d’un secret fondamental mais aussi de la mort de son détenteur et de la nécessité de le relever. Pour autant les cinq points sont présents en maçonnerie et au deuxième grade depuis le XVIIème siècle et sans doute viennent-ils des Maçons opératifs pour qui les signes de reconnaissance et la transmission du mot avaient une importance pratique véritable.
Concernant le Mot de Maître les textes multiplient les versions et plus encore les sens, et cela en particulier à partir, mais non exclusivement, de la “moelle“ restée dans les os ; avec une constance quasi générale : les lettres M et B.
Deux brèves remarques : il est parfaitement reconnu que les cinq points ont bien été empruntés au grade de Compagnon. Par ailleurs la traduction du Mot de Maître qui est donnée n’est pas arbitraire : la Bible dite de Barker publiée en 1580 mentionne que : “Machbenah“, ou “Machbanes“ (père de Shewa) est traduit par “pauvreté“ mais aussi “son fils a été frappé“ et enfin “le bâtisseur a été frappé“.
La mise en ordre presque définitive va être l’effet d’une divulgation qui nous est bien connue : celle de Samuel Prichard, “la Maçonnerie disséquée“ (Mansonry dissected) de 1730. Ce texte est en effet le premier à présenter l’intégralité des éléments qui caractérisent le grade de Maître : les mots et signes propres au grade, la légende d’Hiram assassiné, les cinq points parfaits désormais à ce grade ; et ces éléments font l’objet d’une cérémonie spécifique de transmission.
La Franc-Maçonnerie va s’installer en France dans les années 1725-1730 et il est clair que son développement rapide à dater de cette période va devoir beaucoup à la divulgation de Samuel Prichard.
Cependant de nombreuses pratiques existaient et c’est pour unifier celles-ci que le Grand Orient de France va, non sans peine, sous la conduite de Rothier de Montaleau et après un très long travail, déterminer un rituel pour chaque grade symbolique (comme pour les autres) ; celui de Maître est finalement adopté le 12 Août 1785 et il est parfaitement conforme aux usages de la Maçonnerie Française en s’inspirant de la divulgation de Samuel Prichard. Ce rituel de 1785, publié en 1801, a pour fondement de se rattacher à la Maçonnerie d’origine, celle des Modernes, c’est le Rite Français, attaché à l’instruction par questions réponses comme c’était le cas dans la Maçonnerie originelle.
Enfin au Rite Français la Parole n’est pas perdue, les Maîtres qui forment la Chaîne d’Union autour de la représentation la prononcent mais il faut lui en substituer une nouvelle par crainte que la première ait été arrachée à Hiram et ne soit divulguée !
Parvenu à ce point de notre développement, nous savons quand et comment s’est installé le grade de Maître. Il est désormais temps d’en pénétrer le contenu.
à suivre
Le livre Trois Pas en Loge Bleue est disponible chez son auteur au prix de 20 € + frais de port. Lire l'article de Yonnel G. sur le site national de la GLNF, cliquer sur le lien http://www.regius-glnf.fr/article.php?id=1530
Pour tout renseignement ou commande, merci de contacter l'auteur à l'adresse ci-dessous