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Fl Guitry

La scène se passe au palais de Schönbrunn à Vienne, quand le jeune fils, que Napoléon avait eu avec Marie-Louise d'Autriche, essaie de comprendre ce que fut la gloire de son père.

Il interroge quelques Anciens de l'Empire et leur demande pourquoi beaucoup, parmi les plus fidèles de l'Empereur, le trahirent à la fin.


[Celui qui fut surnommé plus tard par la littérature "l'Aiglon" est mort à 21 ans. Il avait pour titres officiels, Roi de Rome et Duc de Reichstadt.]


Cette scène regroupe donc l'Aiglon, appelé ici Le Duc, et Marmont, duc de Raguse, qui fut aide de camp de Bonaparte, puis Maréchal d'Empire, avant de trahir en 1814. Il finira Pair de France sous Louis XVIII.

Coïncidence ou errements  de l'Histoire, il fut un temps tuteur du Duc de Reichstadt…

Un troisième personnage, Flambeau, ancien "Grognard" de la Garde déguisé en laquais, veille sur le Duc.


Vignette : Lucien Guitry dans le rôle de Flambeau

 


L'Aiglon

Acte 2, scène 8

Edmond Rostand


Le Duc

L'avoir trahi, duc de Raguse - toi !

Oui vous vous disiez tous, je sais "Pourquoi pas moi ? "

En voyant empereur votre ancien camarade.

Mais toi ! Toi ! Qu'il aima depuis le premier grade !

- Car il t'aimait au point de rendre mécontents

Ses soldats ! - Toi qu'il fit maréchal à trente ans

…/…

Je voudrais pardonner! -Pourquoi l'as-tu trahi?

Marmont

Ah! Monseigneur!...

Le Duc

Pourquoi,- vous autres?...

Marmont

La fatigue!


(Depuis un instant, la porte du fond, à droite, s'est entrouverte sans bruit, et on a pu apercevoir, dans l'entrebâillement, le laquais  écoutant cet échange. A ce mot : la fatigue, il entre et referme doucement la porte derrière lui, pendant que Marmont continue, dans un accès de franchise.)

 

Que voulez-vous?...Toujours l'Europe qui se ligue!

Etre vainqueur, c'est beau, mais vivre à bien son prix!

Toujours Vienne, toujours Berlin, jamais Paris!

Tout à recommencer, toujours!... On recommence

Deux fois, trois fois, et puis... C'était de la démence!

A cheval, sans jamais desserrer les genoux!

A la fin nous étions trop fatigués!...

Le Laquais (d'une voix de tonnerre) 

Et nous?...

Le Duc et Marmont, (se retournant et l'apercevant debout, au fond, les bras croisés.)

Hein?

Le Laquais (descendant peu à peu vers Marmont)

Et nous, les petits, les obscurs, les sans-grades,

Nous qui marchions fourbus, blessés, crottés, malades,

Sans espoir de duchés ni de dotations;

Nous qui marchions toujours et jamais n'avancions;

Trop simples et trop gueux pour que l'espoir nous berne

De ce fameux bâton qu'on a dans sa giberne;

Nous qui par tous les temps n'avons cessé d'aller,

Suant sans avoir peur, grelottant sans trembler,

Ne nous soutenant plus qu'à force de trompette,

De fièvre, et de chansons qu'en marchant on répète;

Nous sur lesquels pendant dix-sept ans, songez-y,

Sac, sabre, tournevis, pierres à feu, fusil,

-Ne parlons pas du poids toujours absent des vivres!-

Ont fait le doux total de cinquante-huit livres;

Nous qui coiffés d'oursons sous les ciels tropicaux,

Sous les neiges n'avions même plus de shakos;

Qui d'Espagne en Autriche exécutions des trottes;

Nous qui pour arracher ainsi que des carottes

Nos jambes à la boue énorme des chemins,

Devions les empoigner quelque fois à deux mains;

Nous qui pour notre toux n'ayant pas de jujube,

Prenions des bains de pied d'un jour dans le Danube;

Nous qui n'avions le temps quand un bel officier

Arrivait, au galop de chasse, nous crier :

"L'ennemi nous attaque, il faut qu'on le repousse!"

Que de manger un blanc de corbeau sur le pouce,

Ou vivement, avec un peu de neige, encor,

De nous faire un sorbet au sang de cheval mort;

Nous...

LE DUC (les mains crispées aux bras de son fauteuil, penché en avant, les yeux ardents.)

Enfin!

LE LAQUAIS

...qui, la nuit, n'avions pas peur des balles,

Mais de nous réveiller, le matin, cannibales;

Nous...

LE DUC (de plus en plus penché; s'accoudant sur la table, et dévorant cet homme du regard.) 

Enfin!...

LE LAQUAIS  

...qui marchant et nous battant à jeun

Ne cessions de marcher...

LE DUC (transfiguré de joie) 

Enfin! J'en vois donc un!

LE LAQUAIS

...Que pour nous battre, et de nous battre un contre quatre,

Que pour marcher, et de marcher que pour nous battre,

Marchant et nous battant, maigres, nus, noirs et gais...

Nous, nous ne l'étions pas, peut-être, fatigués?

Marmont, (interdit.)

Mais..

Le Laquais

Et sans lui devoir, comme vous, des chandelles,

C'est nous qui cependant lui restâmes fidèles !

Aux portières du roi votre cheval dansait !...

(Au Duc.)

De sorte, Monseigneur, qu'à la cantine où c'est

Avec l'âme qu'on mange et de gloire qu'on dîne...

Sa graine d'épinard ne vaut pas ma sardine !

Marmont

Quel est donc ce laquais qui s'exprime en grognard ?

Le Laquais, (prenant la position militaire.)

Jean-Pierre-Séraphin Flambeau, dit « le Flambard ».

Ex-sergent grenadier vélite de la garde.

Né de papa breton et de maman picarde.

S'engage à quatorze ans, l'an VI, deux germinal.

Baptême à Marengo. Galons de caporal

Le quinze fructidor an XII. Bas de soie

Et canne de sergent trempée de pleurs de joie

Le quatorze juillet mil huit cent neuf, - ici,

- Car la garde habita Schönbrunn et Sans-souci ! -

Au service de Sa Majesté Très Française.

Total des ans passés : seize ; campagnes : seize.

Batailles : Austerlitz, Eylau, Somosierra,

Eckmühl, Essling, Wagram, Smolensk... et caetera!

Faits d'armes trente-deux. Blessures : quelques-unes.

Ne s'est battu que pour la gloire, et pour des prunes.



Marmont, (au Duc.)

Vous n'allez pas ainsi l'écouter jusqu'au bout ?

Le Duc

Oui, vous avez raison, pas ainsi - mais debout !

(Il se lève.)

Marmont

Monseigneur...

Le Duc, (à Marmont.)

Dans le livre aux sublimes chapitres,

Majuscules, c'est vous qui composez les titres,

Et c'est sur vous toujours que s'arrêtent les yeux !

Mais les mille petites lettres... ce sont eux !

Et vous ne seriez rien sans l'armée humble et noire

Qu'il faut pour composer une page d'histoire !

(A Flambeau)

Ah ! Mon brave Flambeau, peintre en soldats de bois,

Quand je pense que je te vois depuis un mois,

Et que tu m'agaçais avec tes surveillances !...

Flambeau, (souriant)

Oh ! Nous sommes de bien plus vieilles connaissances !

Le Duc

Nous ?

Flambeau, (avançant sa bonne grosse figure.)

Monseigneur ne me remet pas ?

Le Duc

Pas du tout !

Flambeau, (insistant).

Mais un jeudi matin ! Dans le parc de Saint-Cloud !...

- Le maréchal Duroc, la dame de service

Regardaient Votre Altesse user d'une nourrice

Si blanche, il m'en souvient, que j'en reçus un choc.

"Approche !" me cria le maréchal Duroc.

J'obéis. Mais j'étais troublé par trop de choses...

L'enfant impérial, les grandes manches roses

De la dame d'honneur, ce maréchal - ce sein...

Bref, mon plumet tremblait à mon bonnet d'oursin,

Si bien qu'il intrigua les yeux de Votre Altesse.

Vous le considériez rêveusement. Qu'était-ce ?

Et tout en lui faisant un rire plein de lait,

Vous sembliez chercher si ce qu'il vous fallait

Admirer davantage en sa rougeur qui bouge,

C'était qu'elle bougeât, ou bien qu'elle fût rouge.

Soudain, m'étant penché, je sentis, inquiet,

Que vos petites mains tripotaient mon plumet.

Le maréchal Duroc me dit d'un ton sévère

"Laissez faire Sa Majesté !" Je laissai faire.

J'entendais - ayant mis à terre le genou -

Rire le maréchal, la dame, et la nounou...

Et quand je me levai, toute rouge était l'herbe,

Et j'avais pour plumet un fil de fer imberbe

"Je vais signer un bon pour qu'on t'en rende deux !"

Dit Duroc. - Je revins au quartier, radieux !

" Hé ! Psitt ! Là-bas ! Qui donc m'a déplumé cet homme ?"

Dit l'adjudant. Je répondis : "Le Roi de Rome. "

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