Une leçon des ténèbres…
Le titre de cette intervention, "une leçon des ténèbres" renvoie au premier chef, à ce que les Chrétiens appellent la liturgie de "la semaine sainte", et en second lieu à des créations musicales nombreuses, en particulier celles de Couperin, Charpentier ou Tallis, qui étaient justement destinées à "l'Office des ténèbres", dont le cérémonial nocturne très impressionnant, placé sous le signe du deuil et de la douleur, attirait autrefois les foules, toujours éprises de dramaturgie.
Mais depuis ces temps, les liturgies ont été simplifiées et "l'homme a donné des leçons à l'enfer", pour reprendre cette phrase désespérée d'André Malraux face aux camps de concentration nazis.
Aussi d'autres leçons de ténèbres, encore plus réalistes, ont pu enseigner l'humanité sur les conséquences de ses propres démesures.
Or, je saisis cette proximité assez rare, par rapport à nos dates habituelles de Réunion, de cette "liturgie des ténèbres", et particulièrement en ce vendredi soir, pour revisiter quelques aspects de la culture qui fonde, qu'on le veuille ou non, notre civilisation, et dont il faut bien reconnaitre que nous sommes un des rares pays au monde, qui semble autant rougir de son histoire et autant remettre en cause ses racines, quand d'autres s'enorgueillissent de nettement moins...
Quoiqu'il en soit, et même si nous sommes tous censés ici croire, sinon en Dieu, au moins en une sorte de super ingénieur nommé Grand Architecte de l'Univers, c'est sur le seul point de vue culturel que j'entends placer cette intervention, en mettant en avant, à la fois les subtilités et la cohérence générale de ces constructions spéculatives qui sont, reconnaissons-le, elles aussi de "sacrées histoires"...
A chacun ensuite d'en faire ou d'en penser ce que bon lui semble.
Il faut savoir par exemple que la date de Pâques, essentiellement mobile, est celle qui commande, en dehors de l'immuable Noël, quasiment toutes les dates liturgiques du calendrier, et donc de ce fait notre vie civile, c'est-à-dire nos vacances. Or, la définition ecclésiastique actuelle de la date de Pâques a été fixée (il y a 1685 ans) en l'an 325 par le concile de Nicée, convoqué par l'empereur romain Constantin:
«Pâques est célébré le dimanche qui suit le quatorzième jour de la Lune qui atteint cet âge (qui est donc pleine) au 21 Mars ou immédiatement après».
Mais il ne s'agit pas d'une date fondée sur une observation astronomique, et seulement d'un calcul savant utilisant une lune moyenne fictive, (dite lune pascale). Cette méthode de calcul porte le nom de comput ecclésiastique, qui visait, en particulier, à ce que la Pâques chrétienne (avec un s), inscrite dans le Nouveau Testament, et rappelant la Passion du Christ, ne puisse jamais se superposer avec la Pâque juive (Pessah), commémorant dans l'Ancien Testament la sortie des Hébreux d'Egypte.
C'est ainsi que, par construction mathématique, la date de Pâques ne peut pas se situer avant le 22 mars, (la dernière en 1818, la prochaine en 2285 : 467 ans), ni après la date la plus tardive qui est le 25 avril. (1886 - 2038 : 152 ans)
En 2008 par exemple, nous avons eu l'une des Pâques les plus précoces, le 23 mars, dont la dernière remontait à 1913, et la prochaine, ne reviendra qu'en 2160 !
Mais examinons les faits qui sont au fondement de la Pâques chrétienne.
Tout le monde, ou presque, connait l'histoire.
Un homme, du nom de Yehoushua, c'est-à-dire en hébreu : "Dieu sauve", mais plus connu en tant que Jésus, a vécu en Palestine, et plus précisément en Galilée, il y de cela environ 2000 ans. Nous disons environ, car par un clin d'œil des calendriers, sur la base des recherches les plus récentes, il semblerait que Jésus soit paradoxalement né entre 6 et 4 ans… avant le Christ !
Sans doute issu d'une famille de la bourgeoisie aisée de l'époque, Jésus devait vraisemblablement s'exprimer en araméen, langue véhiculaire de l'orient méditerranéen, mais connaissait certainement l'hébreu liturgique afin de discuter avec les scribes, et de pouvoir commenter la Loi. Cependant, rien n'indique qu'il parlait le grec, (ou plutôt la koïnè), pourtant l'une des grandes langues commerciales du pourtour de la méditerranée, et seule écriture des Evangiles.
Si l'on ne sait rien de son enfance, on connait mieux les deux ou trois dernières années de sa vie terrestre. En effet, il arriva un temps où les premières traces précises de Jésus le décrivent dans l'entourage de Jean le Baptiste, sur les bords du Jourdain, dans lequel il fut baptisé.
Mais après la décapitation du Précurseur par Hérode Antipas, Jésus, suivi de disciples nommés Apôtres, entame à son tour un ministère de prédications, qui le conduira, en quelques dizaines de mois, à s'attirer des ennemis de tous les côtés des pouvoirs régionaux en place.
En effet, par l'intransigeance de son action et l'originalité de son enseignement c'est tout aussi bien l'Administration politique liée à l'occupant romain que le milieu sacerdotal juif d'alors, qui ont tout intérêt à le voir disparaître. Après bien des péripéties, il est trahi, arrêté, interrogé, torturé et, après un simulacre de procès, il est condamné à mort.
A cette époque, pour les citoyens non romains, ce châtiment s'exerçait sous la forme du crucifiement, (devenu la "Crucifixion" dans le vocabulaire ecclésiastique chrétien) crucifiement qui se déroulait à l'aide du "patibulum", lourde pièce de bois transversale, que le condamné devait porter jusque sur le lieu de son exécution. Cette peine infamante, qui n'était pas prévue par la loi juive, laquelle pratiquait la non moins épouvantable lapidation, indiquait clairement que les deux pouvoirs, temporel (Hérode) et sacerdotal (Caïphe), laissaient à l'occupant la responsabilité de la destinée de cet étrange gêneur.
Ce fut ainsi le Procurateur Ponce Pilate, représentant en Judée de l'Empire de Tibère qui, se lavant lui aussi ostensiblement les mains, procéda au supplice.
C'est donc dans une certaine indifférence, au moins des Pouvoirs et des spectateurs, que Jésus a été crucifié, a souffert, et qu'il est mort.
Puis ses amis obtinrent des autorités romaines, qu'il soit discrètement descendu du supplice de la croix …
Aujourd'hui plus de 2 milliards et demi d'êtres humains se réclament de son enseignement.
Ecoutons le récit que fait l'Evangile de Jean de ces événements…
Evangile selon St Jean :
Ch.19, (v. 38 à 42)
Après cela, Joseph d'Arimathie, qui était disciple de Jésus, mais en secret par peur des Juifs, demanda à Pilate de pouvoir enlever le corps de Jésus. Et Pilate le permit. Joseph vint donc enlever le corps de Jésus. 39 Nicodème (celui qui la première fois était venu trouver Jésus pendant la nuit) vint lui aussi; il apportait un mélange de myrrhe et d'aloès pesant environ cent livres. 40 Ils prirent le corps de Jésus, et ils l'enveloppèrent d'un linceul, en employant les aromates selon la manière juive d'ensevelir les morts. 41 Près du lieu où Jésus avait été crucifié, il y avait un jardin, et dans ce jardin, un tombeau neuf dans lequel on n'avait encore mis personne. 42 Comme le shabbat des Juifs allait commencer, et que ce tombeau était proche, c'est là qu'ils déposèrent le corps de Jésus.
C'est à partir d'ici, en 10 versets, que s'établit ce que tous les Chrétiens du Monde nomment "le Mystère pascal" :
Evangile selon St Jean :
Ch.20, (v. 1 à 10)
1 Le premier jour de la semaine, (c'est-à-dire le dimanche) Marie de Magdala se rend au tombeau de grand matin, alors qu'il fait encore sombre. Elle voit que la pierre a été enlevée du tombeau. 2 Elle court donc trouver Simon-Pierre et l'autre disciple, celui que Jésus aimait, et elle leur dit : « On a enlevé le Seigneur de son tombeau, et nous ne savons pas où on l'a mis. »
3 Pierre partit donc avec l'autre disciple pour se rendre au tombeau. 4 Ils couraient tous les deux ensembles, mais l'autre disciple courut plus vite que Pierre et arriva le premier au tombeau. 5 En se penchant, il voit que le linceul est resté là; cependant il n'entre pas. 6 Simon-Pierre, qui le suivait, arrive à son tour. Il entre dans le tombeau, et il regarde le linceul resté là, 7 et le linge qui avait recouvert la tête, non pas posé avec le linceul, mais roulé à part à sa place.
8 C'est alors qu'entra l'autre disciple, lui qui était arrivé le premier au tombeau. Il vit, et il crut. 9 Jusque-là, en effet, les disciples n'avaient pas vu que, d'après l'Écriture, il fallait que Jésus ressuscite d'entre les morts. 10 Ensuite, les deux disciples retournèrent chez eux….