Très Vénérable
Adresse à un nouveau Vénérable
Il est d’usage à Trusatiles que l’Orateur fasse une adresse au nouveau Maître de la Loge. Je me conforme volontiers et avec plaisir à cette coutume, mais j’ai choisi de transformer cet exercice, un peu académique, en un morceau d’architecture sur quelques aspects de la fonction de Vénérable, d’où le titre de ce travail, qui reprend l’expression d’usage, Très Vénérable, quand on s’adresse au Maître de la Loge.
Selon le manuel édité par notre Ordre sur ce sujet, le Vénérable Maître doit être, dans l’exercice de sa fonction, à la fois un manager, un DRH, un agent-comptable, pour employer des mots du monde profane.
Bref, un gestionnaire comme n’importe quel responsable de n’importe quelle association.
Mais, une Loge maçonnique, j’entends par là le groupe d’hommes qui la compose, est-elle une association comme les autres ? Sachant que ses membres s’adonnent à une pratique particulière, vous en conviendrez, celle de la Franc-Maçonnerie.
Il y a un peu plus de deux ans, à cette même place, je vous présentais un travail sur la définition de la Franc-Maçonnerie. La définition proposée en conclusion ce soir là n’avait rien de révolutionnaire et correspond à ce que nous pouvons lire aujourd’hui, sous la plume des maçonnologues patentés et autres éminents Docteur és maçonnologie.
A savoir :
La Franc-Maçonnerie est une société traditionnelle initiatique fondée sur des mythes et qui pratique des rites en utilisant des symboles.
Reprenant cette définition, le regretté Frère Bruno Etienne, maçon-nologue reconnu, précisait le pourquoi de cette société :
C’est un Ordre séculier proposant un système hiérarchisé de règles dont la finalité est la libération de l’Homme par l’initiation et le voyage intérieur qui permet la connaissance de soi et la maîtrise de son ego.
Il ajoutait en outre :
C’est d’ailleurs tout le sens de l’expression Tailler la Pierre brute.
Après de tels propos, nous sommes bien obligés de constater, notre modestie dut elle en souffrir, qu’une Loge est un peu plus qu’une sympathique association de peintres amateurs ou qu’une amicale de joyeux boulistes.
Prendre la responsabilité d’une Loge, c’est bien sûr assumer les fonctions d’un dirigeant qui doit organiser, animer, surveiller et contrôler, comme le dit si bien le manuel dont je vous parlais au début.
Mais, le fait d’utiliser des mots comme initiatique, mythes, rites, symboles, sous entend un autre aspect de la fonction.
C’est pourquoi, ce soir, je voudrais vous présenter cette autre dimension, en me limitant toutefois à deux points qui me paraissent fondamentaux.
I – Une histoire de communauté
En 1776, outre atlantique, treize colonies luttent pour se libérer de la tutelle de leurs colonisateurs. Le 4 juillet de la même année, ces treize colonies disparates, mais animées de la même volonté, se fondent en une seule nation et déclarent leur indépendance.
Les Etats-Unis d’Amérique venaient de naître.
Il fallut un drapeau, un hymne, un sceau et sur celui-ci une devise.
Pour devise, la jeune nation choisit une citation latine extraite des Confessions de Saint-Augustin, trois mots par lesquels l’évêque d’Hippone définissait… le lien fraternel, l’amitié.
E pluribus unum
De plusieurs ne faire qu’un
J’ai choisi cet exemple car il me permet d’illustrer un moment important que nous vivons à chaque Tenue.
A l’état naturel, les membres de la Loge sont dispersés dans la nature. La Loge est alors un ensemble flou dont chaque élément mène sa propre vie, plus ou moins solitaire, avec ses expériences, ses joies, ses peines, dans le monde, hors du Temple.
La Loge n’a pas alors d’existence matérielle, elle ne vit pas réellement.
Pour qu’elle vive, il faut que quelqu’un, rappelle ses membres et les rassemble.
Un seul d’entre nous a ce pouvoir, le Maître de la Loge.
Par la volonté du Vénérable Maître, une fois par mois, les membres de la Loge se retrouvent dans le Temple. Ils forment une assemblée disparate, hétérogène, simple juxtaposition d’hommes aux personnalités diverses.
Ils attendent silencieux, dans la pénombre, celui qui les a réunis.
Le Vénérable Maître fait son entrée. Il prend place à sa chaire. Il est debout, à l’Orient, face à l’Occident.
De son maillet, il frappe un coup.
Un coup, comme le faisait « Sucellus », ce dieu gallo-romain dit le « Bon frappeur », qui frappait le sol gelé à la fin de l’hiver pour annoncer le retour du soleil et du printemps. Ce premier coup de maillet, repris en écho par les deux surveillants, renouvelle la vibration primordiale qui crée le monde.
Toute la Loge est attentive et attend les premiers mots du VM.
Il en prononce deux :
En Loge, mes Frères
Deux mots essentiels, deux mots fondateurs, comme une formule magique.
En Loge, les positions sociales s’estompent,
En Loge, les règles du monde profane s’effacent,
En Loge, les métaux disparaissent,
En Loge, deux mots pour convertir le pluriel en un, transformer une simple assemblée en une vraie Communauté.
Rassembler dans une seule communauté, telle est la première fonction symbolique du Vénérable,
C’est celle du berger, du bon pasteur. Celui qui a le pouvoir de rappeler autour de lui les Frères, même ceux qui se sont trop éloignés au risque de se perdre et de les guider vers la communauté du nom de Trusatiles, communauté qu’il fait renaître, qu’il refonde chaque mois d’un coup de maillet et d’une formule symbolique.
Un coup de maillet, deux mots, de plusieurs nous ne faisons plus qu’un.
Mais il manque quelque chose.
Pour que je puisse, au sein de cette communauté, appeler Frère celui qui ne porte pas mon nom, il faut un lien plus fort que celui du sang.
à suivre...
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