Giovanni Pico della Mirandola, Jean Pic de la Mirandole, le phénix des talents du Quattrocento, naquit en 1463 près de Modène.
D'une intelligence vive, doté d'une mémoire exceptionnelle, il maîtrisait parfaitement le latin classique, le grec, l'hébreu et l'arabe.
Il étudia le droit canonique à Bologne, la philosophie à Ferrare puis à Padoue. En 1485 il se rendra à l'Université de Paris où il restera deux ans.
En 1485, il se lança dans un projet colossal, la rédaction d'une somme humaniste, les Neuf cents thèses philosophiques, théologiques et cabalistiques, avec l'idée de les défendre au cours d'un débat public, une disputatio, en présence du Pape, devant les plus grands philosophes et savants d'Italie. Le Pape Innocent VIII, après enquête de l'Inquisition, déclara treize des neuf cents thèses hérétiques et interdit le débat.
Pic de la Mirandole avait rédigé une introduction à ses Neuf cents thèses philosophiques, théologiques et cabalistiques, un texte majeur, l'Oratio de hominis dignitate — de la dignité de l'homme.
Yves Hersant qui a traduit et commenté De la dignité de l'homme (Editions de l'Eclat - 1993) , présente ainsi sa traduction de l'ouvrage :
« Lorsqu'il écrit l'Oratio de hominis dignitate, qui aurait dû introduire ses Neuf cents thèses philosophiques, théologiques et cabalistiques, Pic de la Mirandole a vingt-quatre ans. Bien conscient du fait que " ses façons ne répondent ni à son âge, ni à son rang ", c'est pourtant une philosophie nouvelle qu'il propose à ses aînés ; philosophie ouverte, accueillant tout ce qui, depuis les Mystères antiques jusqu'aux religions révélées, émane de ce que l'on pourrait appeler la " volonté de vérité". L'homme est au centre de cette philosophie, en ce que le divin a déposé en lui ce "vouloir ", cette volonté dont il use à sa guise, le créant "créateur de lui-même " ».
Extraits
« Révérends Pères , j’ai lu dans les textes des Arabes que le Sarrasin Abdallah, à qui l’on demandait ce qui, dans cette sorte de scène qu’est le monde, était le spectacle le plus digne d’admiration, répondit qu’il n’y avait pas de spectacle plus admirable que l’homme ».
[...]
« Déjà Dieu, Père et architecte suprême, avait construit avec les lois d’une sagesse secrète cette demeure du monde que nous voyons, auguste temple de sa divinité: il avait orné d’esprits la région supra-céleste, il avait vivifié d’âmes éternelles les globes éthérés, il avait empli d’une foule d’êtres de tout genre les parties excrémentielles et bourbeuses du monde inférieur. Mais, son oeuvre achevée, l’architecte désirait qu’il y eût quelqu’un pour peser la raison d’une telle oeuvre, pour en aimer la beauté, pour en admirer la grandeur. Aussi, quand tout fut terminé (comme l’attestent Moïse et Timée), pensa-t-il en dernier lieu à créer l’homme. Or il n’y avait pas dans les archétypes de quoi façonner une nouvelle lignée, ni dans les trésors de quoi offrir au nouveau fils un héritage, ni sur les bancs du monde entier la moindre place où le contemplateur de l’univers pût s’asseoir. Tout était déjà rempli: tout avait été distribué aux ordres supérieurs, intermédiaires et inférieurs. Mais il n’eût pas été digne de la Puissance du Père de faire défaut, comme épuisée dans la dernière phase de l’enfantement; il n’eût pas été digne de la Sagesse de tergiverser, faute de résolution, dans une affaire nécessaire; il n’eût pas été digne de l’Amour bienfaisant que l’être appelé à louer la libéralité divine dans les autres créatures fût contraint de la condamner en ce qui le concernait lui-même. En fin de compte, le parfait ouvrier décida qu’à celui qui ne pouvait rien recevoir en propre serait commun tout ce qui avait été donné de particulier à chaque être isolément. Il prit donc l’homme, cette oeuvre indistinctement imagée, et l’ayant placé au milieu du monde, il lui adressa la parole en ces termes : «Si nous ne t’avons donné, Adam, ni une place déterminée, ni un aspect qui te soit propre, ni aucun don particulier, c’est afin que la place, l’aspect, les dons que toi-même aurais souhaités, tu les aies et les possèdes selon ton voeu, à ton idée. Pour les autres, leur nature définie est tenue en bride par des lois que nous avons prescrites : toi, aucune restriction ne te bride, c’est ton propre jugement, auquel je t’ai confié, qui te permettra de définir ta nature. Si je t’ai mis dans le monde en position intermédiaire, c’est pour que de là tu examines plus à ton aise tout ce qui se trouve dans le monde alentour. Si nous ne t’avons fait ni céleste ni terrestre, ni mortel ni immortel, c’est afin que, doté pour ainsi dire du pouvoir arbitral et honorifique de te modeler et de te façonner toi-même, tu te donnes la forme qui aurait eu ta préférence. Tu pourras dégénérer en formes inférieures, qui sont bestiales; tu pourras, par décision de ton esprit, te régénérer en formes supérieures, qui sont divines.»
[...]
Pic de la Mirandole fut assassiné (empoisonné à l'arsenic) en 1494.
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