A l'heure où certains FF:. s'interrogent sur la règle du silence qui s'impose aux Apprentis en Loge, notre F:. Alain avec sa longue expérience du Rite et son érudition, nous apporte les éclaircissements et les précisions nécessaires à la bonne compréhension de cette règle.
Qu'il en soit ici chaleureusement remercié.
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Très Vénérable,
mes Biens Aimés Frères,
Je dois d’abord vous avouer, avoir songé à laisser quelques minutes de silence, ponctuées d’un « J’ai dit Très Vénérable » ce moment de Silence aurait peut-être permis à nous tous de se remettre dans la peau de l’Apprenti qu’ils ont été et qu’ils sont peut-être encore aujourd’hui, au fond d’eux-mêmes.
J’avoue aussi que le thème du silence est si vaste, avec de multiples variantes tant positives que négatives, qu’il m’est aussi plus facile de le restreindre à celui de mon propos de ce soir.
Le Silence, du latin silencium, signifie « absence de bruit » comme par ex,(le silence de la nuit), le fait de se taire, (donc garder le silence), passer sous silence, (ne pas parler de, omettre volontairement), silence radio (absence de nouvelles, d’informations, etc...) il y a aussi des silences techniques, liés à la loi, à la justice, la minute de silence, pour nous souvenir d’êtres chers, l’omerta ou le silence du milieu, mafieux ou terroriste, briser le silence, en finir avec le secret, etc.….il a donc des significations multiples, différentes et contraires, en étant, à la fois, approbateur, réprobateur, inquisiteur, hypocrite, etc.….
Plus symboliquement le silence représente aussi le repos de l’âme, la paix, la sérénité, il occupe une place privilégiée dans tous les courants spirituels, comme facteur concomitant de l’élévation de l’âme par la pratique de la prière, situation de solitude silencieuse censée rapprocher du divin, comme les pratiques de l’ermitage ou de la retraite monastique, « reste dans ta cellule et ta cellule t’apprendra tout » disait St Benoît.
Il est très souvent plus profond que la parole, supérieur à elle, car en permettant l’écoute, il permet de se nourrir de la parole des autres, pour parler de façon plus pertinente.
Dans la tradition occidentale, le silence est l’outil de l’apprentissage. Faire silence, c’est écouter, c’est se rendre disponible à la parole de l’autre. C’est aussi se rendre sensible à ce qui se passe au-delà du langage, par ex l’élève est silencieux parce qu’il doit apprendre. Vécu de manière individuelle et d’une manière plus commune, le silence en soi est vecteur de disponibilité.
L’apprentissage traditionnel est initiation, imitation pour le perfectionnement. Le passage du seuil est possible parce que la personnalité profane est reléguée au second plan. Elle se tait pour faire place à un nouveau mode d’insertion au monde, celui de l’accès au sacré, mais aussi l’accès au secret.
Je vais donc aborder, le Silence du grade d’Apprenti : comment le définir
Tout d’abord, il faut distinguer le silence extérieur (l’absence de bruit) du silence intérieur (le contrôle des pensées spontanées). La règle imposé à l’Apprenti consiste bien sûr en une interdiction de parole, mais vise aussi à lui montrer le chemin du silence intérieur. Tout ébloui encore par ce qu’il vient de vivre et d’éprouver, le nouvel Apprenti ignore, que de surcroît, il a reçu un don précieux : celui de la loi du silence.
Tout d’un coup, dans ce nouvel univers qu’est sa Loge, notre nouveau Frère se trouve confronté à la réalité du silence. Il aurait cependant tellement à dire, à exprimer, à témoigner, peut-être ! Il ne le pourra désormais qu’à de rares moment précis et sous certaines conditions, notamment lors de l’appel des membres de la Loge et quand le Vénérable s’adressera directement à lui.
Très rapidement on lui enseignera les racines profondes de cette loi : la tradition initiatique remonte à une époque où les livres étaient inconnus. Qui voulait s’instruire, devait alors observer, méditer, deviner et se taire. Jadis parmi les tailleurs de pierres du moyen-âge, l’Apprenti se soumettait à l’autorité paternelle d’un Maître, qu’il s’engageait à servir pendant 7 ans. Il était admis aux réunions corporatives, mais uniquement à titre d’auditeur muet et passif. Il était là pour s’instruire en silence et n’avait pas droit aux débats et aux votes. Et puis un jour il devenait Compagnon et dès lors n’était plus soumis à la loi du silence. La Franc-Maçonnerie actuelle, procède de même.
Qu’est-ce que le Silence Intérieur
Ce sont les pensées qui s’apaisent, un individu moyen, voit en effet des milliers d’idées se former chaque jour dans son cerveau. Il s’agit souvent de situations vécues, de problèmes à résoudre, de choses à faire ou à ne pas oublier, de regrets, d’angoisses, d’appréhensions ou de croyances auto-entretenues.
Notre activité mentale prolifique est difficile à maitriser. Elle nous maintient dans un monde illusoire, limite notre réflexion et au final, nous éloigne de nous-même et de la Lumière.
L’homme est un être de langage, il ne cesse de penser, de réfléchir, de cogiter, de parler, de théoriser. Toutefois si la parole est le propre de l’homme, elle est souvent jugée moins noble que le silence. La parole risque de mener à la confusion à l’erreur ou au conflit, alors que le silence permet d’écouter, d’observer, de sentir, de ressentir. Le silence serait ainsi un point d’appui pour accéder à d’autres niveaux de « compréhension ».
La pensée et le raisonnement permettent le maniement des sciences : c’est l’accès au savoir.
Le silence permet quand à lui d’entrer dans une dimension supérieure : celle de la Connaissance.
Vécu de manière individuelle et d’une manière plus prosaïque, le silence en soi est vecteur de disponibilité.
Le Silence : un symbole au cœur de l’Initiation.
La cérémonie d’Initiation est marquée par le silence, à l’exception des deux premiers voyages, qu’effectue le candidat.
Dans la chambre des réflexions, le néophyte doit rester silencieux. Il est amené à une réflexion lente, posée, presque méditative. On lui demande de s’abandonner à lui-même pour rédiger son testament. Face à lui, des écrits et des objets évoquent le silence et la mort, tels une nature morte.
Il accomplit ensuite ses voyages initiatiques dans une atmosphère bruyante, mais qui va en s’apaisant. Le dernier voyage se faisant sans bruit. Ainsi le bruit symbolise les passions qui agitent l’homme, le silence est au contraire un espace de recueillement et de sérénité, il représente le potentiel de Lumière que le nouvel initié porte en lui.
Au cours des tenues, ce silence va devenir pour l’Apprenti celui de la méditation et de la réflexion, celui de l’observation et de l’écoute qui vont l’accompagner dans le cadre de son apprentissage, avec humilité et dans le respect inhérent à toute hiérarchie opérative.
Le silence lui permet de suivre sa voie à son rythme, d’intégrer et de comprendre le rituel, d’observer les symboles qui l’entourent, de suivre les déambulations des Frères, de participer au cérémonial qui donne vie à la Loge, dans un confort qui le libère de toute intervention et de tout sermon.
Être Apprenti, c’est accepter d’être silencieux, d’être à l’écoute de l’autre, je ne sais ni lire, ni écrire, je ne peux qu’épeler.
A ce sujet le manuscrit GRAHAM nous apprend : (* voir en fin d'article)
« Dans leurs rapports les uns avec les autres, la plupart des hommes se règlent sur le comportement et sur les paroles des autres hommes…...C’est pourquoi, il est recommandé aux Apprentis de se taire. C’est seulement lorsque l’Apprenti aura assimilé en silence, les diverses données de la connaissance et de la tradition et qu’il sera parvenu en silence à incorporer suffisamment de vertus, qu’ayant terminé son apprentissage, il pourra alors proférer une parole agissante et utile, un verbe salutaire »
Première leçon d’humilité et de patience que nous rappelle le précepte selon lequel « il ne faut parler que si notre parole est plus belle que le silence » et qui prend toute sa dimension, tant dans la vie maçonnique que dans le milieu profane et que certains d’entre nous ont sûrement déjà pratiqué.
A ce titre le silence de l’Apprenti l’invite à prendre du recul et à multiplier les angles de vue. Cette posture conduit directement à la fraternité et à la paix aussi bien extérieure, qu’intérieure.
Le silence, élément essentiel du rituel et de nos valeurs, il y est omni présent, total à certains moments, relatif le reste du temps, quand seul le Vénérable ou celui à qui il a accordé la parole, s’exprime. Il s’agit alors d’une marque de respect et d’attention, envers notre rituel, envers celui qui s’exprime.
Le silence n’est donc pas un objectif, mais un moyen pour mieux se trouver, se retrouver, avoir conscience de sa place dans l’univers et du fait que l’on fait partie d’un tout. Le silence est un moyen pour parvenir à la connaissance, à la Lumière.
Le silence est un chemin vers soit même qui favorise l’écoute de l’autre et qui favorise la descente en soi. Il est surtout un chemin intime, une voie de libération.
De manière plus générale, le silence permet de se concentrer sur la parole de l’autre, au lieu de se focaliser sur l’expression de sa propre pensée. Cette écoute favorise l’ouverture et l’enrichissement mutuel.
Il s’agit donc de prendre conscience des influences qui font ce que nous sommes à un moment donné : c’est la connaissance de soi.
C’est alors que l’Apprenti pourra commencer à tailler sa pierre brute, à retirer les éléments qui font obstacle. Il purifiera son ego, clarifiera ses pensées, rectifiera ses opinions.
Le silence qui nous est imposé, lors de notre apprentissage, est l’un des outils les plus précieux qui soient mis à notre disposition lors de notre entrée en Franc-Maçonnerie.
Dégrossir sa pierre brute, se taire en maitrisant ses passions, écouter en réinvestissant par la réflexion les connaissances acquises, tels sont les objectifs assignés à l’Apprenti.
Avant de conclure, je vous livre ces deux citations parmi tant d’autres sur le Silence.
« Le silence n’a jamais trahi personne » Blaise Pascal
« Nos décors n’étaient pas riches et notre Temple, vieux et dénudé,
Mais nous connaissions les anciens Landmarks et les observions à la lettre,
L’un après l’autre, les Frères prenaient la parole et aucun ne s’agitait,
Comme je voudrais me retrouver en bon Maçon, dans ma Loge d’antan »
Extrait du poème de Rudyard Kipling « La Loge-Mère »
Et maintenant pour conclure, et comme le dit si bien le 1er Surveillant.
« Très Vénérable, les colonnes sont muettes ».
J’ai dit Très Vénérable.
TIF Alain J.
859ème article
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Dans ce premier tome consacré à la pratique du Rite Français l'auteur* s'est attaché à mettre à la disposition des jeunes maçons et des moins jeunes, l'ensemble des usages et des fondamentaux indispensables pour trouver sa place en Loge et vivre pleinement chaque Tenue. Les Officiers y trouveront une description précise de chaque office et des conseils pour rendre la Loge "juste et parfaite".
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L'auteur* entré en maçonnerie il y a trente deux ans, le R:.F:. Bernard B., ancien Précepteur provincial du Rite français, poursuit ses travaux de recherche sur la genèse de ce rite.
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