Vous avez certainement remarqué que notre rite comporte, au moment de la lecture de la planche tracée des derniers travaux, une bizarrerie :
Le Vénérable : Frère Secrétaire, voulez vous bien nous faire lecture de la planche tracée dans nos derniers travaux.
[…]
Le Frère Secrétaire fait lecture de la planche.
Le Vénérable : Frère Orateur, veuillez faire part des changements ou omissions que vous auriez remarqués
L’Orateur fait part des changements ou omissions qu'il a remarqués ; s'il n'y en a pas, il dit :
L’Orateur : Très Vénérable la planche est conforme à l'esquisse.
Longtemps ce passage du rituel m’a intrigué pour deux raisons.
1. Solliciter l’avis de l’Orateur avant d’entendre les Frères des colonnes n’est pas conforme aux règles de la prise de parole en Loge. Apparemment nous sommes en présence d’une incohérence.
2. Le caractère sibyllin de la formule "conforme à l’esquisse". De quelle esquisse s’agît-il ?
La réponse se trouve dans le Régulateur du Maçon de l’édition de 1801. Notre rituel de référence comporte, page 17, un commentaire sur la planche tracée des travaux. Je vous le livre in extenso, avec les mots et la syntaxe de l’époque .
Quelqu’exercé que soit le Frère Secrétaire, quelqu’attention qu’il y apporte, il est difficile que cette planche soit rédigée, pendant la tenue des travaux, de manière à supporter une lecture réfléchie ; d’ailleurs il est possible qu’un fait se soit passé, qu’il en ait d’abord été fait mention, et qu’ensuite la Loge arrête qu’il n’en sera nullement parlé dans la planche, ce qui nécessite des ratures, des renvois, etc. C’est pourquoi il est à propos que le F. Secrétaire ne trace, pendant les travaux, qu’une esquisse qu’il peut corriger, raturer, suivant les circonstances, pourvu qu’il en porte la mise au net sur un registre destiné à cet usage. Il se servira donc pour l’esquisse de feuilles de papier timbrées des timbres de la Loge. A la fin des travaux, le F. Secrétaire fera la lecture de cette esquisse, pour que chacun puisse y faire telles corrections qu’il croira devoir indiquer : ces correction n’auront pour but que de rendre plus exactement et plus clairement ce qui ce sera passé pendant les travaux, et afin de constater légalement ce qui aura été arrêté sur l’esquisse, le F. Secrétaire la fera signer par le V. et le F. Orateur.
Pendant que le F. Secrétaire fait la lecture de la rédaction sur le registre, le F. Orateur collationne sur l’esquisse qu’il a sous les yeux, afin de s’assurer si dans la rédaction, le F. Secrétaire n’a rien changé ou omis dans les délibérations de l’assemblée précédente.
Le rituel ajoute :
Comme il serait possible que d’autres F. eussent remarqué quelque chose d’essentiel à corriger le V. invite les FF. à faire leurs observations […]
En précisant :
Les observations ne peuvent concerner que la manière dont la planche est rédigée ; on ne saurait rien changer au fond qui a été irrévocablement arrêté dans la dernière assemblée [1].
A cette époque, l’ordre du jour comportait entre Affaires diverses ne nécessitant pas d’avis préalable et Circulation du tronc de bienfaisance et du sac aux propositions, le point suivant :
Présentation de l’esquisse des travaux de ce jour.
La pratique de l’esquisse a disparu au fil du temps, le point correspondant de l’ordre du jour a été supprimé, mais le rituel n’en a pas été modifié pour autant.
D’où cette réponse décalée ( !) de l’Orateur.
Fin du mystère, mais...
Notes
[1] En 1801 on ne parle pas encore de Tenue mais d'Assemblée