L'épidémie virale nous a fait mettre la vie en Loge entre parenthèses. L'impérieuse nécessité de ralentir la diffusion du virus a entrainé la fermeture de toutes les Temples maçonniques. Les FF. ont eu la possibilité de se retrouver de façon informelle grâce aux visioconférences afin de maintenir un lien fut-il virtuel.
Interrogé sur l'organisation de Tenues virtuelles, le TVF J.-L. M. apporte une réponse claire et nette. Nous vous la livrons ci-dessous en le remerciant vivement de nous avoir donné l'autorisation de publier son texte.
Il est évident que la FM « opérative », celle qui construit réellement des cathédrales, ne peut être « virtuelle » ; cependant, on aurait pu s’attendre à ce qu’il soit possible de réaliser des « visio-tenues » virtuelles par les moyens informatiques dont on dispose à notre époque.
Pourtant la FM spéculative, symbolique, « virtuelle » n’existe pas et toute tentative de créer des tenues maçonniques à distance est interdite par le TRF J.-P. R., GM de la GLNF.
Pourquoi ?
C’est la question à laquelle je vous propose de répondre ensemble.
Cette question m’a paru liée à celle de savoir pourquoi au XXIéme siècle la FM utilise des gestes, des postures, des rituels imitant les Francs-Maçons dits « opératifs », constructeurs des cathédrales du Moyen Age ?
Une tentative de réponse à ces deux questions est peut-être possible en explorant comment le corps et l’esprit fonctionnent ensemble.
L’expérience de la vie nous montre que la connaissance du monde provient de notre expérience :
On ne peut savoir ce qu’est la fraternité, idée abstraite, que si on expérimente des comportements fraternels.
La FM dite « spéculative » du XVIIIéme siècle ne s’est pas trompée en proposant une expérience originale d’imitation des bâtisseurs du Moyen Age pour « faire d’un homme bien, un homme meilleur », et surtout pour se sortir du piège des violences religieuses et politiques de l’époque (et qui n’ont malheureusement pas disparues à la nôtre).
En proposant d’expérimenter des comportements non conflictuels à des personnes qui étaient étrangères les unes aux autres, la FM change notre représentation du monde.
L’expérience originale proposée par la FM est donc celle d’imiter ces bâtisseurs qui se servaient d’abord de leurs 5 sens et de leur mémoire pour transformer leurs conceptions de la vie et celle de la société.
Bien avant, Les Maçons « opératifs » avaient pris comme modèle les bâtisseurs bibliques du Temple du Roi Salomon.
On prête aux bâtisseurs du Moyen Age des comportements fraternelles d’entre aides en cas d’accident ou de besoins et surtout d’indépendance par rapport aux deux autorités prédominantes de l’époque : l’Eglise et le pouvoir seigneurial, la religion et la politique.
La « Loge », accolée au chantier de la cathédrale est leur lieu réservé et fermé à ceux qui ne sont pas maçons : ils pouvaient s’y réunir en toute indépendance vis-à-vis des autorités religieuses et politiques du temps.
En loge ils faisaient aussi l’expérience de la transformation de la matière, de la pierre, ils réalisaient des plans d’architectures qui seront soumis le lendemain à la réalité : la voûte tiendra-elle ou risque-t-elle de s’effondrer ?
L’expérience de la vie est leur seule source de connaissance :
en taillant la pierre brute, c’est le bruit du maillet à dégrossir, la sensation des vibrations dans le bras, la vue de la transformation progressive de la matière, le gout et l’odeur de la poussière qui transforme l’Apprenti en Compagnon.
L’expérience d’étapes successives est indispensable à la progression de l’homme et la FM spéculative procède de la même façon concrète :
On doit faire l’expérience de l’Initiation avant de devenir Apprenti, du Passage avant de devenir Compagnon et de l’Elévation avant de devenir Maitre.
Pour devenir Compagnon ou Maitre, il nous faut tailler notre pierre en apprenant notre rituel.
L’effort de mémoire agit comme une expérience originale indispensable à notre changement et ne se limite pas aux mots du rituel mais aussi aux gestes, postures, attouchements, comportements spécifiques à chaque grade et qui seront répétés en séances dites d’« instructions » (ou de répétitions) et bien sûr en tenues régulières réelles et non pas « virtuelles ».
En effet, l’expérience de la tenue ne s’improvise pas parce qu’elle est rituelle, reproductible, et qu’elle nous engage complètement corps et esprit.
Cette expérience de mémoire associant le corps et l’esprit est le fondement de la FM « spéculative » et durera toute notre vie de Francs-Maçons quel que soit notre grade ou notre fonction.
Comment l’expérience réelle des tenues maçonniques peut-elle changer ainsi notre représentation du monde ?
La construction de la conscience commence à être maintenant assez bien connue par l’imagerie cérébrale et par les sciences anthropologiques qui montrent l’importance de l’imitation des modèles de comportements efficients, ceux qui transforment nous-mêmes et le monde.
En effet l’expérience a bien montré que les changements durables de la société ne pouvaient se réaliser que par l’addition des changements individuels de chacun de ses membres.
Le Mahatma Gandhi l’a parfaitement exprimé en disant : « Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde ».
Cette réalité est reprise par le Point 4 de la Règle en 12 points de la GLNF :
« La FM vise, par le perfectionnement moral de ses membres, à celui de l’Humanité tout entière ».
Le cerveau est capable de transformer les données brutes de nos 5 sens et de les associer à la mémoire et aux émotions. Il en résulte ce que nous appelons la « conscience », c’est-à-dire une représentation cohérente du monde qui pourra lui donner du sens. Cette représentation nous est nécessaire non seulement pour notre survie mais aussi pour ordonner notre vie personnelle et en société.
En transposant à la FM on montre ainsi que notre expérience répétitive des tenues régulières, dans un environnement fermé et sécure, en faisant appel à notre mémoire et aux différents symboles, permet à notre cerveau de construire une représentation fraternelle du monde sans avoir besoin de faire appel ni aux représentations religieuses ni aux représentations politiques du monde.
Il ne faudrait pas oublier aussi le rôle très important de la musique en loge. C’est un langage émotionnel universel, pour construire un état de conscience apaisé et ouvert aux autres : la musique est peut-être l’exemple le plus évident pour comprendre l’impossibilité de dissocier corps et esprit, sens et conscience.
Le Maitre d’Harmonie de la Loge n’embellit pas les Tenues, il est à la source même des émotions qui participent à la l’expérience de la conscience.
La FM est donc tout à fait originale et moderne (dès le XVIIIéme siècle) en rejetant constitutionnellement en son sein les controverses religieuses et politiques (point 6 de la Règle en 12 points de la GLNF) et en nous faisant vivre une expérience originale plutôt que d’essayer de transmettre des soi-disant « connaissances » abstraites .
L’imitation, le mimétisme, est le moyen utilisé par la FM pour nous transformer et nous faire vivre des comportements fraternels et non plus conflictuels.
On connait les « gênes » qui agissent comme des réplicateurs capables de reproduire nos cellules à l’identiques, mais la notion de « mêmes » est moins connues.
Qu’est-ce qu’un « même » ?
La définition proposée par ceux qui utilisent ce terme est : « un élément de culture dont on peut considérer qu’il se transmet par des moyens non génétiques (allusions aux gênes par rapport aux mêmes) mais par imitation » ;
Les « mêmes » seraient apparus d’après les anthropologues il y a environ 10.000 ans chez Homo Sapiens uniquement (disparition de Neandertal), qui les utilisera pour la construction des maisons, des cités, de la société, de la civilisation.
Si nous imitons les FM opératifs, les « vrais bâtisseurs », c’est pour pouvoir permettre aux « mêmes » utilisés par ces bâtisseurs de se répliquer en nous et nous transmettre ainsi leur « élément de culture ».
L’« élément de culture » des maçons opératifs est contenu dans leurs organisation : la loge est un lieu sécure et séparé du monde « profane », celui de ceux qui ne sont pas Maçons.
Ils devaient aussi assurer par eux-mêmes le secours de ceux qui ne pouvaient plus travailler et de leurs familles : ils ont inventé le trésor de la Loge, le « tronc de la veuve », l’OAF.
En les imitant nous permettons aux « mêmes » comportementaux des anciens bâtisseurs de se répliquer en nous pour changer nos attitudes et nos comportements et prendre les leurs.
Mais cette réplication ne peut se faire que par la répétition régulière des « mêmes rituels » de façon rigoureuse au cours de cérémonies réelles en un lieu et un temps dédiés.
Une « tenue virtuelle » ne peut donc évidemment pas être efficace : il faut la Loge et ses décors, nos gants et nos tabliers, notre musique, et nos rituels.
Ainsi, et par l’expérience du corps et de l’esprit indissociables, la FM nous fait faire un « pas de côté » par rapport aux passions du monde profane, elle nous enseigne un bien précieux, celui de se comporter en « Frères » et c’est une vraie source de bonheur.
Le bonheur de se retrouver réellement ne peut se comparer à aucune autre réalité, en tout cas pas à celle des « visio-tenues » informatiques…
T. V. F. J.-L. M.
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