Travail d'un Compagnon qui, sur proposition du Premier Surveillant, se prépare à subir les épreuves pour être élevé au sublime grade de Maître maçon.
Travail présenté devant les Maîtres de la R:. L:. Trusatiles (Rite Français).
A la gloire du Grand Architecte de l’Univers, Très Vénérable et vous tous mes Bien Aimés Frères, je vais vous dire ce que j’ai trouvé sur la colonne du Midi.
Après avoir changé de colonne, j’ai découvert de nouvelles perspectives du temple et mon œil a été attiré par le bijou du premier surveillant : le niveau.
Avec le fil à plomb du deuxième surveillant je me suis verticalisé ; cette verticale est la conscience de soi, permettant ensuite la connaissance de soi. Je me suis déplacé au sud et j’accède à cette nouvelle dimension horizontale. L’horizon. Quelles questions se posent au loin ? Quels nouveaux outils peuvent m’aider à travailler ? Et quel chemin ai-je parcouru ?
Profane
Nous sommes tous restés immobiles, un peu interdits, devant cette ligne du lointain. Julien Gracq écrit dans les Carnets du Grand Chemin : « Rarement je pense au Cézallier, à l’Aubrac, sans que s’ébauche en moi un mouvement très singulier qui donne corps à mon souvenir : sur ces hauts plateaux déployés où la pesanteur semble se réduire comme sur une mer de la lune, un vertige horizontal se déclenche en moi qui, comme l’autre à tomber, m’incite à y courir, à perte de vue, à perdre haleine ».
J’y ai pour ma part recherché spontanément la sérénité. En ville, l’horizon est difficile à voir. C’est peut-être la raison pour laquelle les tourments de la vie, les errances personnelles, les questions sur l’avenir - et les peurs qui vont avec - m’envoyaient dans des promenades solitaires en campagne qui m’apaisaient. Il y avait le silence, le rapport avec la nature sauvage, mais aussi cette ligne au loin, qui mourait derrière à mesure qu’une nouvelle naissait devant moi. Ce « vertige horizontal » était une véritable thérapie.
Que l’on cherche à atteindre cette ligne et l’on finira par arriver sur un littoral. Si les promenades en campagne sont sources de calme, l’océan est chez moi un rêve d’aventures. Je n’ai jamais imaginé gravir l’Everest, mais que de navigations transocéaniques n’ai-je réalisées dans mon imaginaire. Immobile devant les rouleaux se brisant sur les rochers, je reste des heures entières sans vraiment savoir pourquoi, hypnotisé.
Cette ligne d’horizon a obsédé les peintres. A travers la bibliographie que m’a donnée Bernard, c’est le dessin qui m’a fait réfléchir. Les différents paysages maritimes de Courbet ont des points communs : le ciel est menaçant, la mer hostile - Cézanne dira que « sa marée vient du fond des âges » -, et il existe au premier plan une déferlante dont le sommet vient au contact de la ligne d’horizon, la dépassant parfois. Il semble que la noirceur du ciel soit accordée à la violence de la mer et que cette vague nous pointe l’horizon.
En essayant de comprendre tout ce qui a pu m’arriver depuis des années face à cet horizon, je retrouve la définition du Littré : « ligne circulaire, variable en chaque lieu, dont l’observateur est le centre et où le ciel et la terre semblent se joindre ». Je suis le centre d’un monde sensible. Il y a mes craintes, mes joies, mes peurs ; je construis des plans sur l’avenir, essaie de trouver des solutions, et arrive à gérer les émotions qui me submergent. C’est mon moi intérieur, mélange de quotidien concret et de tempêtes de sentiments. Mon corps.
J’essaie d’avancer encore, d’aller toucher cette ligne de fuite. Je m’imagine en bateau au large. Il n’y a plus de terre ; seulement le ciel et la mer. Je visualise le cercle qui se déplace autour de moi. Comment mes nouveaux outils peuvent-ils m’aider ?
La Vague, Gustave Courbet, 1869/1870
Symbolique (étoile, 5, G / pierres)
Selon le rituel du compagnon, l’Etoile flamboyante est l’« emblème du génie qui élève aux grandes choses …/… le symbole de ce feu sacré, de cette portion de lumière divine ». La lettre G en son centre est le « monogramme d’un des Noms du Très Haut …/…résulte de ce qu’on explique par le mot Géométrie».
Voilà le cœur du sujet pour moi. Il se trouve que, passionné d’architecture, je m’amuse à dessiner des maisons depuis 30 ans. De la forme extérieure aux matériaux de construction, tout ce qui concerne la construction me captive. Avant mon augmentation de salaire, j’ai travaillé pendant des mois sur un plan de maison pentagonal (qui est le coeur de l’étoile, chacune des branches naissant sur chaque côté). C’est passionnant : on retrouve de nouveaux repères dans cette figure très rationnelle et très complexe où les proportions d’or sont omniprésentes. Après des mois de dessin j’avais toujours l’impression d’en être aux balbutiements. La géométrie atteint là une dimension divine.
Au milieu de l’océan, le marin imaginaire que je suis utilise la vue : je navigue grâce aux étoiles et au sextant. Faute de repères terrestres, c’est le ciel qui me guide. J’ai conscience de cet horizon qui apparaît : c’est un futur parmi plusieurs possibles.
La somme de ces possibles me dépasse ; je ne les vois pas tous. Je n’ai pas le temps terrestre nécessaire pour tous les explorer, car ce temps terrestre est par essence limité.
Pourtant, l’observation des étoiles nous permettra d’établir un calendrier perpétuel. Et l’étoile, symbole d’infini, établira ainsi des cycles dans notre vie.
En voyant le ciel et la terre qui se rejoignent, On me dit donc ce que je ne sais pas, On me montre l’invisible. J’explore mon inconscient, et je comprends que l’éternité est céleste.
Le livre transmis par Philippe lors de mon passage au grade de compagnon m’a permis d’approfondir mes connaissances. Le pentagone est inscrit dans un cercle ; en dessinant les rayons des 2 extrémités d’un côté et du sommet opposé on obtient un gamma, lettre grecque correspondant au hiéroglyphe égyptien sekhenet, signifiant « pilier du ciel », qui porte la treille de la vigne et le mât transversal du pavillon d’Anubis. La forme même de la lettre remplit cette fonction de soutien (alors que le gamma majuscule a une forme d’équerre).
Selon la Kabbale, les 2 branches représentent d’un côté la rigueur, la droiture et de l’autre l’amour, la générosité. Ces valeurs sont complémentaires : il y a le réfléchi et le spontané, le rationnel et l’émotionnel. Elles nous permettent de vivre pleinement notre destin et ainsi de rayonner.
On retrouve aussi ces cinq côtés dans les rosaces des vitraux de nos cathédrales, à travers lesquels les rayons du soleil illuminent l’intérieur de l’édifice. D’une autre manière on peut y voir le lien entre le céleste divin et le terrestre mortel.
Le g est le symbole de la gravité terrestre qui nous fait tenir debout, vertical sur terre. Celui-ci me rappelle mon précédent travail sur cette verticale qui permet à l’homme de progresser dans la connaissance et de s’élever. L’étoile flamboyante, c’est l’homme libre et accompli, remplissant ses devoirs, qui reçoit la lumière divine guidant ses pas.
J’ai dégrossi, poli la pierre brute, et suis arrivé à la pierre cubique « symbole des soins que se donne l’homme vertueux pour effacer les traces que le vice a faites sur lui ». Elle est surmontée d’une pointe qui a la forme d’une pyramide égyptienne.
Imaginons la forme de la figure de pliage nécessaire pour réaliser cette pierre cubique à pointe. Il y a un carré long positionné dans le sens de la hauteur (comme la nef d’une église), puis horizontalement 3 carrés côte à côte (figurant un transept), et enfin un pentagone surmontant l’ensemble (le chœur) qui apparaît sur cette figure dépliée.
Le cheminement du compagnon serait donc d’arriver à la lumière divine, de mieux la comprendre, quand l’apprenti ne la reçoit qu’en étant passivement ébloui.
Personnel
Je vois un peu du chemin spirituel parcouru dans cette citation de Benjamin Constant : « Il n’y a personne, je le pense, qui, laissant errer ses regards sur un horizon sans bornes, ou se promenant sur les rives de la mer que viennent battre les vagues, ou levant les yeux sur le firmament parsemé d’étoiles, n’ait éprouvé une sorte d’émotion qu’il lui était impossible d’analyser ou de définir. On dirait que des voix descendent du haut des cieux, s’élancent de la cime des rochers, retentissent dans les torrents ou les forêts agitées, sortent de la profondeur des abîmes. »
Cet horizon derrière lequel on veut aller voir est en fait un miroir permettant d’apprendre à nous connaître et qui nous permet de nous élever. Compagnon aujourd’hui, je me revois le jour de mon initiation dans la chambre de réflexion face au V.I.T.R.I.O.L. : au delà des références alchimiques, c’est le vrai sens de tailler la pierre brute que je comprends mieux.
Visita : visite ; on m’intime l’ordre de rechercher, d’examiner avec les sens en éveil, car il va être nécessaire de faire un premier lourd travail.
Interiora Terrae : l’intérieur de la Terre ; on se retrouve plein d’humilité face à notre Créateur, et j’entends « Souviens-toi que tu es né poussière et que tu redeviendras poussière ». Il faut mourir profane avant de naitre maçon en recevant la lumière.
Rectificando : en rectifiant ; on doit se corriger, travailler, se débarrasser de nos préjugés et de nos passions pour nous améliorer.
Invenies : tu trouveras ; c’est une affirmation rassurante. Devant la violence de l’ordre une solution nous est promise.
Occultam Lapidem : la Pierre Cachée ; morceau de la Terre qui n’est initialement pas visible. Ce serait la Pierre Philosophale, la Vérité : une entité divine sans défauts.
Mais, dans notre ordre, cette maxime doit-elle déjà figurer face au futur initié ?
Il s’agit donc d’une introspection. Ce voyage intérieur rejoint la sagesse de Socrate « connais-toi toi même ». Centré sur moi, je prends conscience de ce que je sais, mais surtout de l’infinie complexité de ce qui m’entoure et de tout ce que je ne sais pas. L’horizon me mets donc en relation avec le divin, et m’élève en me révélant l’existence du cosmique, abstrait et spirituel. Ainsi je corrige mes erreurs de comportement. La solitude est propice à la réflexion ; sans avoir conscience de tout ceci, la sérénité que je ressentais dans mes balades venait de ces ajustements. Mon esprit.
Il conviendrait peut-être d’élargir cette réflexion à l’humanité toute entière : c’est notre tâche de maçon de faire le bien pour autrui, de donner à la multitude pour améliorer l’humanité. Ce dialogue entre nous et le Grand Architecte nous guide dans ce travail de notre vie.
Il en retourne de l’évolution de l’homme ; percevoir le sens de l’horizon éviterait des guerres. S’imprégner de cette nouvelle dimension de l’horizon, c’est faire une expérience de l’Amour infini.
Conclusion
Initié, je me suis bien verticalisé,
Et puis j’ai contemplé immobile ce lointain ;
Grâce à la bienveillance et l’aide de mes ainés,
La réflexion m’humanise, me révèle le Saint.
Un océan de données me prend dans sa houle,
Je commence à voir ce monde horizontal ;
Beaucoup plus vaste, sa richesse infinie me saoûle.
Ces nouvelles vagues de Connaissance me portent, me salent.
Avec le fil à plomb et le niveau je sais
Construire l’équerre, bijou du Vénérable ; c’est
Mieux comprendre la Lumière de notre loge ; je vais,
Par cette bienveillance, continuer à progresser.
Par cet horizon d’explications qui construit
Mon esprit, je vois sous un autre angle ce quoi vers
Tout homme doit tendre : rassuré, apaisé, il vit
L’amour du Grand Architecte de l’Univers.
Patient et ferme j’ai bien ouvert la porte à l’heure,
Et, comme après chacune de ces denses réflexions,
Enrichi, je poursuis le voyage intérieur
Sentiment d’éternité, étrange impression !
J’ai dit Très Vénérable.
Crépuscule en bord de mer, Caspar David Friedrich, circa 1821
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