Mais, nous ne sommes pas sur un chantier d'une cathédrale, nous sommes en Loge, et il est temps de vous parler de notre corde à nœuds, celle qui court, telle une frise, sur trois des murs de l'atelier et que certains maçons de théorie affublent d'un nom bizarre, la houppe dentelée. Je vous propose (c'est une simple proposition et non une injection) d'oublier ce nom qui n'est, si l'on en croit les études sérieuses sur le sujet, que le résultat d'une erreur de traduction lorsque cette corde a traversé la Manche et débarqué en France.
Dans notre rite, fort heureusement, nous n'avons pas cédé à cette facilité et appelons cette corde à nœuds la Cordelière à houppes et lacs d'amour.
Vous avez remarqué bien sûr que cette cordelière figure sur le Tableau de Loge.
Or, souvenez-vous ! A la fin de l'initiation d'un nouveau Frère, le deuxième surveillant donne à ce dernier l'explication au grade d'apprenti, du Tableau de Loge et déclare en particulier :
La cordelière à houppes pourvue de lacs d'amour qui entoure les emblèmes du travail [maçonnique] désigne l'amour fraternel qui unit tous les Maçons dans la Loge et qui les relie à tous leurs Frères répandus sur la surface de la terre
C'est une explication majeure, essentielle mais qui ne doit surtout pas nous bloquer dans notre démarche symbolique.
D'ailleurs le deuxième surveillant, prudent, poursuivant son propos, s'empresse d'ajouter :
Ces quelques indications n'épuisent pas le sens des symboles... et plus loin C'est par votre propre méditation que vous pénètrerez toujours plus profondément leur sens..., qu'il pénètrera toujours plus profondément en vous.
Souvenons nous des propos de C. Jung que j'évoquais ici même en mai dernier :
« Le symbole renvoie toujours à un contenu plus vaste que son sens immédiat et évident »
« Les symboles ne peuvent faire l'objet d'aucune interprétation a priori. [...] Tout dictionnaire des symboles est en soi un contresens ».
Pour avancer dans la voie symbolique et progresser dans notre voyage intérieur, c'est le but du jeu, il faut mettre en résonance nos capacités mentales, c'est-à-dire nos perceptions sensorielles (visuelles, auditives, voire olfactives), notre imagination et un savoir, celui qui nous est transmis en Loge par la tradition.
C'est ce que nous allons essayer de faire ce soir en apportant quelques éléments qui nous aident à aller plus loin.
Que pouvons nous percevoir de plus dans cette cordelière qui puisse exacerber nos sens et stimuler notre imagination?
Une cordelière en tant que décor
La cordelière court à la partie supérieure de trois murs, ceux du nord, de l'orient et du midi, telle une frise en relief marquant la limite entre les murs et le plafond ou plutôt entre l'enceinte de la Loge et la voute étoilée.
Nous sommes loin de l'outil topographique des bâtisseurs mais nous pouvons y voir un cordeau qui marque la séparation entre la terre et le ciel, la limite entre le matériel et le spirituel.
Pour A. Benuraud et C. Brugnaux, c'est une corde qui assemble et maintient :
« Comme tout édifice sacré, le temple maçonnique est une représentation de l'univers. La fonction de la corde à nœuds consiste alors à maintenir dans son enceinte, de façon à former un tout ordonné et harmonieux où chaque chose est véritablement à sa place ».
René Guénon, dans Symboles de la science sacrée précise que la cordelière lie et maintient en place tous les éléments de la Loge dans un même ensemble.
Notre TVF BR m'a fait parvenir des photos du porche de l'église de Mailhat. Un des chapiteaux (colonne à gauche en entrant) représente un groupe de cinq personnages entouré par une corde. Cette sculpture pourrait représenter une communauté symbolisée par le lien qui maintient les personnages ensemble. La cordelière est ce qui nous lie au-delà de l'amour fraternel, l'appartenance à la franc-maçonnerie.
Les entrelacs et autres lacs d'amour
Une précision importante sur les lacs d'amour, ils n'ont rien à voir avec nos lacs de montagne. Notre Frère Emile Littré, dans son dictionnaire nous explique qu'il faut bien distinguer Lac (grande étendue d’eau) et Lacs (cordon), ce dernier s’écrivant avec un S au singulier.
L’étymologie de ces deux mots explique cette différence d’écriture. Si Lac vient du latin lacus (réservoir, bassin, cuve), lacs vient de laqueus (lacet, nœud coulant, liens, chaînes).
Notre Frère Emile précise :
Lacs / lâ ; l’s se lie : un lâ-z ; le c ne se prononce jamais et c’est une grosse faute de dire lâk. 1. Cordon délié. Autrefois le sceau était attaché aux édits avec des lacs de soie de diverses couleurs […]5. Lacs d’amour, cordons repliés sur eux-mêmes, de manière à former un huit couché.
Le lacs est donc le nœud en « 8 » bien connu des marins
Cela mérite quelques explications.
Un nœud est l’enlacement d’une corde. Sa fonction est d’arrêter, d’assembler ou de décorer.
Un nœud doit tenir sous la tension, sans jamais se défaire spontanément, sans jamais se bloquer, même mouillé, afin de pouvoir être défait sans difficulté en cas de besoin.
De la bonne tenue d’un nœud peut dépendre la sécurité, voire la vie des autres.
Pour chaque type de nœud, le mode de réalisation est précis et unique.
L’art des nœuds — le matelotage chez les marins — est une tradition transmise depuis la nuit des temps, de génération en génération, selon le principe du compagnonnage. Dans la marine à voile, le gabier (le maître) dévoilait au mousse (l’apprenti) les règles de l'art permettant de faire ses nœuds parfaits.
Le nœud en « 8 » était (est toujours) le premier nœud enseigné. Non pas parce qu'il est le plus facile à faire mais parce qu'il est considéré comme un nœud majeur du fait de ses qualités. Il ne se défait jamais seul, ne glisse pas, ne se souque pas (ne se bloque pas), il reste facile à défaire en cas de nécessité.
à suivre...
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